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L'éthique n'est après tout qu'une source de profits parmi d'autres.

22 juin 2012

Un retrait de publicité pour cause de déontologie ? Mazette.

Stupéfiante nouvelle qui est tombée aujourd'hui : Intermarché s'est vu retirer une publicité par le Jury de Déontologie Publicitaire. La publicité en question, probablement celle-ci, présente les engagements (sic) d'Intermarché en vue d'une démarche de pêche durable (re-sic) en vue de faire du bien en même temps à la nature et à ses consommateurs (re-re-sic). C'est bien, peut-on se dire. Même très bien. Jamais le monde ne se portera mieux que dans un environnement où les publicitaires n'ont pas le droit de mentir, à défaut d'être tout de même nuisibles.

Pourquoi, alors, qualifier cette nouvelle de "stupéfiante" ? Tout simplement parce qu'on pouvait se demander si vraiment le Jury de Déontologie Publicitaire servait à quelque chose. C'est justement en faisant de petites recherches dessus que l'on peut apprendre que le monde publicitaire dispose d'un grand nombre de comités et associations diverses, évoluant toutes dans le cadre de l'éthique : outre l'ARPP (agence de régulation des pratiques publicitaires), existent également le Conseil Paritaire de la Publicité (chargé de l'élaboration de règles déontologiques) et le Conseil de l'Ethique Publicitaire, dont on espère que les missions sont aussi claires que sa dénomination.

Première remarque : pourquoi une telle diversité ? On peut certes dire qu'il est bien que différents points de vue participent à la construction d'une certaine éthique dans les pratiques publicitaires. Cependant, cette fragmentation est-elle bien utile ? Car mis à part permettre de varier les interlocuteurs au moment du dépôt d'une requête, sa pertinence reste discutable. Enfin, cette question est d'un relatif inintérêt face au principal : les règles déontologiques appliquées par ce fameux Jury de Déontologie Publicitaire.

Pris au hasard : "La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet." Soit. Il est évident que cette femme ne ressemble pas du tout à un objet, à une sorte de sucrerie posée en évidence sur un fauteuil et destinée à être utilisée au bon plaisir de l'homme qui la regarde. Non, bien sûr. De même, le fameux slogan Axe : "Plus t'en mets, plus t'en as". Il serait faire insulte à ces notables du Jury que de leur rappeler que commencer à comptabiliser des êtres, c'est un grand pas vers l'objectivité, et donc la réification. "Avoir beaucoup de femmes", au fond, c'est approximativement la même chose qu'avoir beaucoup de vêtements. Et pourtant, pas de condamnation.

On pourrait continuer longtemps la liste de ces grands principes couchés bien obligeamment sur papier, uniquement pour la forme. Le problème se situe précisément là : avoir des règles, mais ne pas les respecter, c'est une faute. On oppose à toute tentative de règlementation la sacro-sainte "liberté de la publicité", la peur de la "censure" et le rejet du "puritanisme ambiant". Reste à savoir si cette banalisation de propos violents, discriminants, sexistes, attentatoires à la dignité de la personne humaine, est réellement sans effet sur la population soumise à ce bruit publicitaire constant. On peut en douter, fortement. Si c'est le cas, si entre deux maux, faut-il choisir celui qui touche les entreprises ou celui qui touche les consommateurs ?

Apparemment, le Jury de la Déontologie Publicitaire a fait son choix.

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12 juin 2012

La position compliquée des "femmes de".

A chaque fois que les cartes du pouvoir sont rebattues, on voit assez logiquement arriver au pouvoir des gens qui n'y étaient pas auparavant. Il est évident que c'est souvent un bon point, le renouvellement des élites est l'antidote naturel contre la tendance à l'oligarchie "républicaine". Cependant, l’accession aux responsabilités de nouveaux individus pose parfois quelques problèmes, qui sont fabuleusement bien illustrés dans l’actualité. Se pose en effet le problème des conjointes.

Ces conjointes si encombrantes

Oui, le mot « conjointes » a délibérément été laissé au féminin, car il est odieusement rare que le problème se pose en sens inverse. Si vous n’avez pas compris de quoi il est question, voici le petit résumé de ces « affaires » : le nouveau Président de la République, François Hollande, ainsi que le Ministre du Redressement Productif, Arnaud Montebourg, mais aussi le Ministre du Travail, Michel Sapin et le Ministre de l’Education, Vincent Peillon, ont l’immense tort d’avoir pour moitié une journaliste. Voici donc revenu à grands pas le spectre du Conflit d’Intérêt, bête noire du journaliste et du politique, et farouche cœur de la déontologie de ces professions.

Ces dames, respectivement Valérie Trierweiler, Audrey Pulvar, Valérie de Sennevile et Nathalie Bensahel, se sont vues dès l’institution de leur conjoint ennuyées par les grands déontologues de leur profession. Il s’agit ici d’une revendication qui, au fond, n’est pas totalement dénuée de pertinence : il est sans doute complexe, pour une journaliste politique, de remettre en cause avec entrain les actions de son Ministre ou Président de mari. Oui, la revendication est pertinente. Cependant, ces grands déontologues ont oublié de prendre en compte deux petits éléments.

Ces conjointes pas si bêtes

C’est dans ces situations que l’on peut juger de l’effet de millénaires de prédominance masculine sur la société, auxquels quelques petites décennies de féminisme ont bien du mal à s’opposer. Le postulat de base est que ces journalistes ne sont pas assez indépendantes. Incapables de s’opposer à leur époux. Incapables, donc, de penser par elles-mêmes. Il est évident que dit comme ça, cela semble déjà beaucoup moins pertinent. On peut raisonnablement penser que des journalistes professionnelles ont un minimum de bagage intellectuel. Que ces femmes, capables de s’imposer à des postes de responsabilité (Nathalie Bensahel est rédactrice en chef adjointe au service Notre époque du Nouvel Observateur) malgré le handicap que constitue chez elle l’absence de chromosome Y, sont sans doute assez différentes du stéréotype de la « ménagère de moins de 50 ans », de par sa définition reléguée aux tâches ménagères dans l’attente du retour de son mâle.

Ces journalistes, ces femmes, ne sont pas totalement stupides. Elles doivent déjà, au quotidien, exercer leur métier en mettant de côté leurs convictions personnelles, comme tout autre journaliste même célibataire. Croire que partager sa vie avec une autre personne met irrémédiablement en cause leur libre arbitre serait penser que l’amour rend effectivement stupide. Dans ces cas-là, il serait peut-être intéressant d’instaurer le célibat comme condition d’éligibilité de nos personnalités politiques.

Ces conjointes qui ne sont pas les seules

 C’est un truisme que de dire ça, mais tout journaliste, indépendamment de son sexe, son âge, son statut marital, sa catégorie socio-professionnelle ou sa pointure de chaussure, est un être humain. Avec ses opinions, ses idées propres. Mais aussi avec une certaine conscience professionnelle. Car sans elle, comment feraient tous ces journalistes qui, sans être pour autant en couple, entretiennent des relations cordiales, voire amicales avec certains hommes politiques ? Passer toute sa carrière à suivre l’actualité politique vous oblige à créer des liens avec vos sujets. Dans cette configuration, comment pouvoir sérieusement tenir rigueur à ces femmes de leur statut marital ?

La France compte un certain nombre de journaux partisans. Il est évident que l’Express, le Figaro et Libération ne sont pas orientés de la même façon. Il est évident que leur ligne éditoriale penche d’un côté ou de l’autre de l’échiquier idéologique, sans pour autant être soumise à un parti quelconque. C’est justement parce que tout le monde le sait que cette ligne éditoriale partisane, même nuancée par certaines règles de déontologie journalistique, est acceptable. La pluralité des sources d’information, et la publicité faite aux limites de ces sources, permet au lecteur de porter un jugement critique sur les opinions exprimées. Il est beaucoup plus sournois, au final, ce journaliste qui fricote avec les politiques sans qu’on le sache.

Ces conjointes qui devraient pouvoir continuer à exercer leur métier, et seulement leur métier

Beaucoup plus préoccupante est la situation qui a explosé ce matin. Valérie Trierweiler a, au travers de son compte Twitter, apporté son soutien à Olivier Falorni, adversaire de Ségolène Royal aux élections législatives, pourtant soutenue par François Hollande. Défendre le droit de ces journalistes à continuer leur métier ne doit pas pour autant les soutenir dans toutes leurs actions.

Un journaliste n’a pas à apporter son soutien à une personnalité quelconque. Un journaliste, lié avec le Président de la République, se doit de porter la plus grande attention à ses prises de position. Il est dans la fonction des personnalités politiques que d’apporter ou pas un soutien. Un journaliste, lui, n’a pas à prendre parti pour une personne. Il peut prendre parti pour des idées, c’est la fonction des éditoriaux. Il peut aussi faire son métier objectivement, et rapporter une analyse de faits. Mais un journaliste, encore plus un journaliste lié au pouvoir, ne doit pas s’insérer dans le jeu politique comme en étant un des acteurs.

C’est ici une faute qu’a commise Valérie Trierweiler. Cette faute ramène encore une fois ce débat des conjoints. Madame Trierweiler n’a pas été élue, ni nommée. Elle est arrivée à cette situation par « hasard ». Elle n’est pas une personnalité politique. A-t-elle à agir sur ce jeu politique ? Il est probable que non. Cette faute doit-elle pour autant rejaillir sur toutes ces autres journalistes qui continuent à bien faire leur travail ? Non. L’erreur d’une femme ne peut jeter le discrédit sur toute une profession. Elle doit juste inciter l’opinion, et les organes déontologiques d’une profession, à porter une attention toute particulière aux potentielles fautes pouvant survenir. Peut-être surviendront-elles, et des mesures pourraient être alors prises. Mais peut-être ne surviendront-elles pas, et c’est là toute l’essence du débat.

La sanction professionnelle dont certaines journalistes sont victimes est une présomption de culpabilité. Même sans entrer dans le débat juridique, considérer une personne comme coupable d’office, dans ces circonstances, est fortement discutable, alors même que d’autres conflits d’intérêt, entre la sphère publique et la sphère des affaires, prolifèrent en toute impunité.

8 juin 2012

La cigarette, cet ennemi si pratique.

Amusant point de vue que celui du Directeur Général de l’agence de communication McCann Paris, qui livre dans le Stratégies n° 1682 un vibrant plaidoyer en faveur de l’anti-marketing appliqué à la vente de cigarettes. La cigarette, explique-t-il avec une grande bien-pensance, est un « poison en vente libre ». Ainsi, louable sont les stratégies publicitaires visant à « déconstruire » l’image qu’avait pourtant créé le marketing auparavant.

La cigarette, ce poison-star

Comme il le dit lui-même, « la cigarette est un produit entièrement fabriqué par le marketing. C’est en effet un tour de force de la part des fabricants d’avoir réussi à faire consommer à des milliards d’individus une substance aussi nocive ». On sent bien ici la dénonciation de ces pratiques manipulatoires, de l’absolue absence d’éthique qui habitait « les fabricants ». Première pirouette langagière : les fabricants, si l’on peut dire, n’y sont pour rien. Les publicitaires de l’époque, qui créant le Cowboy Marlboro, qui créant la Gitane, qui faisant passer pour « glamour » ce petit bout de cancer en barre, sont ceux qui ont le plus efficacement aidé la vente de cigarettes. La première pirouette de M. Guilbert, Directeur Général de l’agence McCann, est de concentrer le Mal entre les mains des seuls fabricants. Il est évident que les publicitaires ne sont qu’un objet, un moyen, que l’on utilise, et qui n’a pas son mot à dire dans ces circonstances.

Il est profondément malhonnête, Monsieur, d’évacuer d’un tournemain la responsabilité de vos pairs dans cette affaire. Il est profondément malhonnête de pointer d’un doigt moraliste l’annonceur, pour se laver les mains collectivement des conséquences de ses actes. C’est malhonnête, oui, mais aussi lâche. Cependant, la plus grande pirouette de M. Guilbert, dans ce fervent plaidoyer pour le développement de l’anti-marketing en milieu enfumé, est d’adopter cette position moraliste alors même qu’il est bien loin de la pouvoir revendiquer lui-même.

La cigarette, cet ennemi-star

C’est un secret de Polichinelle que la lutte contre le tabagisme en France s’affole et s’hystérise pour mieux masquer son hypocrisie. Ah, la « clope », ce petit bout de cancer, responsable de tant de malheurs. Il tue le fumeur, encrassant ses poumons, sa gorge, sa langue, mais il tue ses enfants (ce méchant tabagisme passif, grâce à qui tout non-fumeur désormais en présence d’un petit nuage craindra de développer un cancer), il troue la couche d’ozone, il provoque même des malformations chez l’enfant à naître, l’agneau pas même encore né, victime de nos péchés ! Le tabac étant le Mal, on le rend cher (le fumeur DOIT payer pour tous ces autres qu’il tue), on le bannit de l’espace public, laissant les fumeurs assouvir leur dépendance à la merci d’un vent froid, vecteur de bronchiolites fatales. Mais qu’importe ! Il l’a mérité.

Il l’a mérité, sans doute, loin de moi l’idée de nier les effets nocifs du tabac qui ont été maintes fois prouvés et démontrés. Néanmoins, je trouve particulièrement pertinent qu’un publicitaire dénonce un marketing qui tue des gens, lui vendant un « poison » (de ses mots-même), tout en étant lui-même le complice d’un autre massacre à grande échelle. Curieux, j’ai décidé d’aller voir sur le site de l’agence McCann Paris quels sont ses clients. C’est assez peu compliqué à trouver, c’est en première page. Qu’ai-je appris ?

La cigarette, mauvaise herbe masquant une forêt d’épines

Que le grand manitou de la morale autoproclamé conseille des marques comme Martini ou Get27. Ces marques d’alcool grand public participent massivement à des cirrhoses variées, des accidents de la route, des comas éthyliques notamment parmi les (trop jeunes ?) adolescents qui s’adonnent au « binge drinking » (le Get27 et son goût très sucré étant particulièrement appréciés des jeunes amateurs de défonce à mauvais goût). Plus encore, cet alcool qui lui n’a pas l’heur de déplaire à M. Guilbert peut être rendu responsable de nombre d’échec scolaires dus à des fêtes trop fréquentes remplaçant de saines révisions, de nombre d’agressions sexuelles aidées par une ivresse ramenant certaines personnes à leurs pulsions, de nombre de pathologies diverses et variées liées à la composition parfaitement saine des deux alcools précités, ainsi que d’autres conséquences dont l’inventaire donnerait le vertige à n’importe quel individu qui s’amuserait à les comptabiliser.

Quelles autres marques peut-on voir ? Nestlé, et notamment son produit Lion, dont les publicités télévisées sont systématiquement accompagnées d’un avertissement lié à l’obésité provoquée par le manque d’exercice et la consommation massive de produits trop sucrés. L’obésité provoquée par les produits sucrés, pourtant ennemi n°2 après le fameux cancer du poumon et son épouse la cigarette, ne semble provoquer absolument aucun questionnement chez M. Guilbert. On m’objectera qu’il vaut mieux un enfant obèse qu’un enfant mort. Je trouve cette objection particulièrement douteuse.

Au-delà de ces considérations purement alimentaires, McCann Paris conseille aussi des marques très soucieuses d’éthique comme peuvent l’être L’Oréal ou Gemey-Maybelline. Vous savez, ces marques mettant en valeur des femmes aux physiques faux, refaits, photoshopés et pourtant uniques déterminants de celles qui les revêtent. Ces marques grâce à qui une femme qui ne se maquille pas est vue comme anormale, ces marques grâce à qui toutes ces moches se vivent comme inhumaines et trouvent leur seul réconfort dans … l’achat de produits L’Oréal et Gemey-Maybelline, achetant par là-même leur droit à vivre comme des femmes et non comme des « freaks ». Ces marques qui, mettant l’accent sur une apparence soumise à des canons irréalistes tout en faisant croire aux femmes qu’ils le sont, les asservissent dans leur propre honte de ne pas être ces beautés froides sur papier glacé.

Là-dedans, nul questionnement moral, éthique. M. Guilbert semble ici bien aise de contribuer à ce recel de poisons, recel qu’il condamnait si vertueusement lorsqu’on parlait de l’ennemi consensuel. On entend, notamment dans les colonnes de Stratégies, des publicitaires se plaindre du manque de confiance dont ils font l’objet, du manque de déontologie de leur métier. On les entend frétiller à l’apparition d’un acronyme bien pratique : « RSE », Responsabilité Sociale de l’Entreprise, qui n’est qu’une version marchandisée de l’éthique, qui n’est qu’une source supplémentaire de profits. Renvoyer la balle sur les fabricants, Monsieur Guilbert, ne doit pas servir à masquer votre propre responsabilité dans tous les problèmes de notre société.

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L'éthique n'est après tout qu'une source de profits parmi d'autres.
  • Etudier le marketing est une manière assez sûre de perdre ses illusions sur une prétendue "moralité des affaires". Ce blog présente quelques réflexions et constats venant à l'esprit de l'auteur.
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